Journée d'étude pluridisciplinaire, Mardi 17 juin 2014, Université Rennes 2 (Amphi E3-Campus Villejean)

Résumés des communications

Résumés des communications

Neutralité engagée : engagement dans le terrain et objectivation scientifique

9h30          Enquêter auprès d’adolescents : de la rencontre au portrait - Elisabeth Schneider, docteure en géographie, ESO, Univ. de Caen

Dans le cadre d'une enquête ethnographique sur les pratiques d'écriture contemporaine des adolescents, l'écriture a été à la fois objet et outil du travail de thèse. Pour la chercheure, l'enjeu était de donner à voir et de se donner les moyens de construire l'analyse à partir de la réalité des pratiques en dessous des seuils de visibilité habituels.

 Les dispositifs d'écriture, de l'enquête à l'élaboration du savoir ont été l'objet de réflexions méthodologiques et épistémologiques. Nous aborderons ainsi leur diversité, du carnet de terrain/carnet de recherche à la capitalisation de données et aux outils de visualisation, jusqu'à l'écriture de portraits d'adolescents en essayant de dégager quelques questions concernant l'engagement du chercheur, la définition du terrain outillé par l'écriture et enfin les implications discursives.

 

10h15          L’enquête en anthropologie au regard du genre, de l’âge, de la classe et de la « race » - Hélène Nicolas, docteure en anthropologie, ATER Univ. Rennes 2, chercheuse associée au CIAPHS

 Sur la base d’un retour réflexif sur deux terrains de recherche en Nouvelle-Calédonie, nous questionnerons la manière dont notre classe sociale, notre âge, notre « race » et notre genre ont eu un impact sur le déroulement de l’enquête. Au regard de ces deux expériences et de la littérature abondante qui fait le récit de l’influence de l’identité sociale des chercheurs sur leurs terrains, nous montrerons l’importance de se situer quand il s’agit de pratiquer la méthode de l’observation participante.

 

11h20          Décrire les interactions : ce que masque et crée la restitution écrite - Baptiste Brossard, post-doctorant Centre Maurice Halbwachs

Que manque ou risque de manquer la restitution écrite des observations ? Que crée, par ailleurs, cette restitution ? Cette communication aborde la question en se basant sur deux travaux de terrain. Le premier a consisté en l’observation de consultations gériatriques au cours desquelles des patients âgées viennent faire évaluer leur état cognitif – en prévention de certaines démences neurodégénératives. Le second, encore en cours, porte sur les relations entre les professionnels de maison de retraite et les résidents, notamment ceux hébergés dans les services spécifiques pour personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Dans les deux cas, la restitution des observations est apparue difficile : parce que le passage à l’écrit de ce qui est observé oriente la connotation des interactions à la lecture, éludant des données dont la description est délicate mais dont la prise en compte s’avère fondamentale pour la compréhension. Lors des consultations gériatriques, certains échanges me paraissaient apparemment anodins sur le moment. Ils deviennent, une fois écrits, des situations de domination extrêmement prononcées. De la même manière, je percevais certaines activités des professionnels en maison de retraite comme des actes de bienveillance, mais ceux-ci acquéraient une dimension bien plus hiérarchique après la retranscription.

Que faire de ces décalages ? J’ai tenté de les expliquer par l’absence d’informations visuelles, absence qui modifie radicalement le point de vue subjectif que l’on peut porter sur l’interaction. Plutôt que de prendre le décalage entre l’interaction observée in situ et son écrit comme une faiblesse, un problème, il est possible d’en tirer des résultats de recherche. Il s’agit donc dans un premier temps d’énumérer différentes possibilités visant à rendre un tel décalage « exploitable » sur le plan de l’analyse. Puis, pour aller plus loin, je défendrai que par extension, les difficultés propres à la restitution écrite gagneraient à être (au moins partiellement) dépassées via la formalisation des techniques utilisées par les chercheurs pour décrire leur terrain, proposant quelques pistes de réflexion en ce sens.

 

Qu’est-ce que l’anonymat ? Mise en scène des enquêtés, préoccupations éthiques et méthodologiques

13h45          Enquêter sur la construction des catégories d’action publique : le cas des "jeunes en errance" - Céline Rothé, docteure en science politique, ingénieure de recherche EHESP

 Cette proposition de communication émane des résultats d’un travail de thèse en science politique portant sur la catégorie d’action publique « jeunes en errance », sa construction en tant que telle ainsi que les effets qu’elle induit sur les pratiques de professionnels confrontés au phénomène, et les usages que les jeunes ainsi désignés font des aides sociales. Elle s’appuie sur des données d’enquêtes recueillies entre 2008 et 2011. Une trentaine d’entretiens biographiques menés auprès des jeunes fréquentant les organismes de l’infra-assistance publique (accueils d’urgence des secteurs sociaux et médico sociaux), des données issues de l’observation ethnographique ainsi qu’une soixantaine d’entretiens semi-directifs avec les professionnels accueillant et accompagnant ces jeunes constitueront l’empirie de la réflexion proposée. Le terrain de recherche s’est organisé autour de la volonté d’observer la relation d’aide comme un lieu de renégociation des cadres de l’action publique, sur le terrain.

Nous souhaitons ici revenir sur une partie de notre terrain de recherche, pour des réflexions méthodologiques sur les conditions de notre enquête auprès des « jeunes en errance », et son impact sur l’écriture (c’est-à-dire sa façon d’en rendre compte). En effet, la conduite de l'enquête n'a pas toujours été aisée et a soulevé de multiples questions au préalable et au cours du travail empirique. Si, bien sûr, ces questionnements sont partie intégrante du travail de chercheur, nous souhaitons les exposer ici car ils ont une incidence sur la construction de notre enquête, et en conséquence, sur l'orientation que nous avons donnée à l'analyse de notre objet.

Aussi, nous souhaitons aborder les aléas de l'enquête de terrain, et plus spécifiquement ceux de la rencontre avec les jeunes. En effet, si les ethnologues ont pour habitude de décortiquer les enjeux qui se nouent au cœur de la démarche empirique comme des données de terrain, la tradition d'analyse des politiques publiques le fait peu. Dans une précédente recherche, nous avions déjà réfléchi à la mise à l'épreuve de la neutralité axiologique du chercheur par l'enquête en milieu difficile. Nous souhaitons y revenir ici dans la perspective d'alimenter notre recherche au travers de la compréhension des conditions de l'enquête, et de l'impact qu'elles ont pu avoir sur le matériau recueilli, dont notre sentiment de chercheur à l'égard de notre objet fait partie.

 

 14h30          Réflexions éthiques et méthodologiques sur les recherches doctorales en CIFRE - Pauline Dziedziczak, doctorante en sociologie, CIAPHS, Univ. Rennes 2 et Simon Mallard, doctorant en sciences de l’éducation, CREAD, Univ. Rennes 2

 A partir de deux expériences distinctes, l’une dans un groupe de pompes funèbres et l’autre dans une entreprise de distribution du courrier, cette intervention entend interroger l’exercice de la recherche doctorale en sciences humaines et sociales dans le contexte partenarial de la CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la REcherche).

Cette convention engage un doctorant, un laboratoire de recherche publique et une entreprise de droit français (ou plus largement une association, une collectivité territoriale, etc.) autour du projet commun que représente la recherche doctorale. Le jeune chercheur a donc un double rattachement, à l’université en tant que doctorant membre du laboratoire et à l’entreprise en tant que salarié de celle-ci. Or les désirs et logiques des acteurs engagés et des sujets impliqués sont multiples, voire parfois contraires. Ainsi, comment se construit ce « métier hybride » ? Quelle(s) posture(s) éthique(s) se construi(sen)t ? Autrement dit, un premier questionnement portera sur le contexte organisationnel de la recherche et les rapports entre le chercheur, l’entreprise et les enquêtés (notamment lorsqu’ils sont salariés de cette entreprise). L’étude étant souvent menée dans l’entreprise contractante, l’identité de cette dernière ne peut être tue. Par ailleurs, l’entreprise est souvent (re)connue du et par le grand public. Dès lors, comment les enquêtés peuvent être anonymes quand le terrain ne l’est pas ? Il s’agira ainsi dans ce deuxième questionnement de s’interroger sur la manière de rendre compte du terrain, non seulement dans le cadre de la thèse, mais également auprès des « contractants », en « anonymant » les données.

 Ainsi, d’une manière générale, le propos portera sur des préoccupations éthiques et méthodologiques propres aux contractualisations de la CIFRE. Il ne s’agira pas tant, à travers l’explicitation des contextes et les réflexions sur les approches ethnographiques, d’y apporter des réponses mais d’éclairer la particularité des questions soulevées dans ce contexte.

 

 15h15          Vidéo contemporaine et processus d’enquête, entre exposition et dissimulation - Ophélie Naessens, docteure en arts plastiques, APS, Univ. Rennes 2

Dans l’art contemporain, le rapport des artistes avec les pratiques d’enquête et d’entretien filmé est une préoccupation récurrente. À partir des années soixante-dix, des plasticiens s’engagent sur le terrain, se tournent vers ceux qui les entourent ou parcourent le monde à la rencontre d’autrui, orientant leur caméra vers des visages, à l’écoute d’une parole. Les artistes qui font oeuvre à partir du recueil de la parole d’autrui mettent ainsi en place une méthodologie de travail qui s’apparente à celle employée dans les champs des sciences humaines et sociales.

A partir d’exemples puisés dans l’art contemporain, il s’agira dans un premier temps de préciser les spécificités des pratiques artistiques vis-à-vis des processus habituellement employés par les chercheurs, notamment en termes d’outils méthodologiques. Aussi, à travers ces usages de l’enquête, se dessine une posture singulière de l’artiste enquêteur, entre préoccupations éthiques et stratégies artistiques. Si les plasticiens empruntent à des modèles issus d’autres champs disciplinaires, nous verrons qu’ils s’en départissent pourtant, revisitant les outils de la recherche scientifique au service d’un projet artistique.

 Nous interrogerons dans un second temps la manière dont les artistes mettent en scène l’interviewé, donnent à voir et à entendre un récit de soi. Dans cette perspective, certains artistes proposent une écriture spécifique de l’entretien, suscitant des rapports inédits entre engagement sur le terrain et écriture. En effet, des vidéastes s’appliquent à mettre en scène la situation du récit sur soi, en y introduisant des stratégies de fictionnalisation, mais aussi des stratégies visant l’anonymisation de l’enquêté. Nous nous questionnerons alors sur la potentialité de ces dispositifs plastiques à explorer le dualisme inhérent au principe de l’entretien classique, entre dévoilement et dissimulation, un premier dualisme auquel répond dans l’oeuvre un second – entre voir et être vu – produit par la présence à l’écran de l’interviewé.

 

 

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